C’est une rentrée inédite et insolite à laquelle vous nous faites l’honneur d’assister. En effet notre juridiction à traditionnellement le plaisir d’accueillir à son audience solennelle plus du double d’invités. J’adresse donc à toutes les personnalités que nous aurions eu plaisir d’accueillir aujourd’hui tous nos remerciements pour leur compréhension et leur considération.
Je suis profondément attristé de n’être entouré que de 18 juges. Notre juridiction qui en compte normalement 69, commencera l’année avec un effectif de 65 incluant les 8 que nous avons installés aujourd’hui. Nous avons dû faire des choix et faire un choix c’est renoncer, renoncer à voir les juges les plus anciens de cette juridiction vous accueillir. Siègent ce jour les juges installés en 2020, ceux qui l’ont été aujourd’hui et ceux qui nous quittent après avoir réalisé 14 ans au sein de cette juridiction. Ces derniers sont aux côtés de Thierry REGOND Vice-président de Jean-Pierre GIBERT Délégué Général. Il s’agit de Madame Monnot, Monsieur Bonnet et Monsieur Durand à qui je renouvelle devant vous les plus sincères remerciements de notre Tribunal.
Pour un juge consulaire c’est une grande tristesse de ne pas pouvoir assister à cette rentrée solennelle. Hautement symbolique, je le concède, mais c’est en quelque sorte leur unique rémunération, la rémunération de leur engagement bénévole au service de l’entreprise et de la Société en général.
Madame la Première Présidente de la Cour de cassation dans son discours lors de l’audience solennelle de début d’année judiciaire 2021 a dit : « Le juge est avant tout ce tiers indépendant et impartial dont chaque société constituée a besoin pour faire valoir et veiller au respect des droits de chacun ; pour faire cesser les troubles, mettre fin aux litiges, réparer les dommages, apaiser les conflits, protéger les plus vulnérables, rappeler la dignité et le respect des droits de chacun et de la liberté individuelle, en bref, assurer la paix sociale. »
Assurer la paix sociale ! Je suis convaincu que c’est ce qui a motivé au cours de cette année 2020 l’ensemble des juges de notre Juridiction Lyonnaise en faisant front de façon remarquable et en montrant une parfaite solidarité face à la crise qui soudainement a affecté nos entreprises, notre économie et notre vie tout simplement.
Notre juridiction s’est adaptée en quelques heures pour répondre aux exigences d’une situation nouvelle. Le Tribunal n’a jamais cessé de traiter les urgences, et a aussi profité du premier confinement pour avancer sur les dossiers en cours. Que l’ensemble des juges soit tous remerciés devant vous, Mesdames et Messieurs, il le mérite.
Dès le 17 mars une cellule de prévention a été mise en place pour répondre aux chefs d’entreprise en détresse, les juges étaient disponibles sur une ligne directe affectée, permettant d’assurer la sécurité juridique et de donner les premières informations dont on disposait. La chambre du conseil, qui traite des difficultés des entreprises, n’a pas cessé d’assurer son office. En quelques heures encore une fois, les moyens humains étaient recensés, disponibles, souvent en plus grand nombre que nécessaire et surtout que raisonnable au regard de ce virus que nous ne connaissions pas encore, qui nous menaçait au point de laisser des dossiers de plaidoirie 48 heures dans un placard avant de les toucher. Notre Juridiction Lyonnaise s’est démarquée quelque peu et s’est semble-t-il fait remarquer dans la justice consulaire en affichant sa volonté de maintenir son activité judiciaire, son « quoi qu’il en coûte » à elle… Mais cela n’a été possible que grâce à la confiance et au soutien que lui ont accordé :
– Les chefs de cour qui après s’être assuré que les procédures mises en place répondaient aux exigences sanitaires lui ont permis de maintenir son activité en laissant les juges désignés accéder librement au palais et en permettant aux collaborateurs du greffe de les accompagner dans l’exercice de leurs fonctions,
– Le ministère public avec qui il a été possible de mettre en place en 24h des procédures permettant au tribunal de statuer en chambre du conseil sans interruption de l’activité tout en assurant la sécurité juridique de ses décisions alors même qu’il était directement concerné par l’épidémie,
– Les administrateurs judiciaires, les mandataires judiciaires et les commissaires-priseurs qui immédiatement nous ont assuré qu’ils maintenaient tous les moyens dans leurs études afin de répondre aux exigences de la situation combien même le niveau de l’activité serait momentanément réduit,
– Le Barreau de Lyon alors qu’il venait de traverser une période perturbée, a répondu immédiatement présent afin de mettre en place une communication permettant d’assurer une poursuite de l’activité en préservant la sécurité sanitaire.
Au nom de la Juridiction et de notre engagement aux côtés des entreprises je vous adresse nos plus sincères remerciements.
Je tiens également à remercier les greffiers associés de notre juridiction ainsi que leurs collaborateurs pour leur engagement total à nos côtés, leur disponibilité, leur bienveillance et leur très grand professionnalisme. Nous avons beaucoup de chance d’avoir un greffe de cette qualité qui a su développer les outils qui nous ont permis de rester totalement opérationnels dans une période où nous avons dû nous réinventer.
Nouvellement installé dans cette juridiction, j’ai été impressionné par la mobilisation, la disponibilité l’accessibilité de l’ensemble des acteurs du monde politique, administratif, judiciaire, syndical, associatif, des chambres de commerce et d’industrie, de la chambre de métiers et de l’artisanat, des auxiliaires de justice, des professionnels du chiffre, J’en oublie certainement, qu’ils me pardonnent ! Tous, privilégiant l’efficacité et ce dans le plus grand respect de nos institutions et une parfaite sérénité.
Nous noterons à cet égard et avec grande satisfaction la mise en place sur notre département par Monsieur le Préfet de Région et Monsieur le Directeur régional des finances publiques d’un CODEFI (Comité départemental d’examen des difficultés de financement des entreprise) absent depuis de très nombreuses années de l’environnement des entreprises. A une époque où la moindre décision est critiquée, contestée où sur un seul tweet la démocratie vacille, je suis fier que notre juridiction ait participé dans notre environnement Lyonnais à cette solidarité dont nous allons avoir sans aucun doute beaucoup besoin dans les mois à venir.
Fier également de représenter cette Juridiction, dans cette région et fier d’être Français. Avec pourtant une inquiétude, celle de voir l’interventionnisme économique du pouvoir exécutif souvent salutaire mais dont le contrôle reste approximatif, perturber l’ordre concurrentiel dont le pouvoir judiciaire assurait la loyauté. Espérons que nous retrouvions très rapidement à tous points de vue un retour à la normale.
Oui ! Madame la Première Présidente de la Cour de cassation, nos juges dans leur environnement ont contribué à assurer la paix sociale. D’autant que dans le même temps, l’activité de contentieux général représentant 70 % de l’activité de la Juridiction dont les audiences avaient été renvoyées pendant le premier confinement, continuait de fonctionner. Nos juges ont rendu leur décision et début mai notre juridiction ne constatait aucun retard dans les mises à dispositions des affaires en délibéré et les fixations à plaider pour les affaires en état étaient à 4 mois. Cette période, nous a permis aussi de constater que la visioconférence que nous avons expérimentée en MARD (Mode Amiable de Règlement des Différends), n’offrait pas les mêmes résultats qu’en présentiel, la conviction, la sincérité, la fourberie, les manœuvres, bref ce qui régit nos rapports humains ne se perçoivent pas de la même façon derrière un écran… Nous voilà rassurés !
Malheureusement l’avenir est encore à ce jour chargé d’incertitudes, et l’incertitude est le pire ennemi de l’entrepreneur. Pour autant le nombre d’ouverture de procédures tant amiables que judiciaires est en forte diminution comparativement à 2019 les chiffres qui vous ont été communiqués laissent apparaître des statistiques proches des statistiques nationales, – 37% de procédures en 2020 par rapport à 2019 et si l’on isole le premier trimestre 2020 qui n’avait pas réellement été impacté par l’épidémie, la baisse est de l’ordre de 50 % sur les 9 derniers mois de l’année pour la même période.
Naturellement cette baisse s’explique par l’adaptation par voie d’ordonnances des textes aux conséquences économiques de la pandémie, par les aides financières accordées et par une certaine spéculation sur le remboursement ou non de ces aides. Evidemment devant une situation sanitaire encore critique et la nécessité de maintenir à l’arrêt certaines activités, devant le redémarrage seulement partiel de certaines autres, devant les évolutions des modèles économiques et les changements de paradigme, on peut s’attendre à un niveau de défaillance très élevé cumulant le nombre de défaillance naturel au rattrapage de 2020 par rapport à 2019 et aux impacts de la pandémie.
Nous ne pouvons qu’encourager les chefs d’entreprise particulièrement ceux des PME et des Micro-entreprises à anticiper les difficultés que fatalement constitueront ces accumulations de dettes, à solliciter de l’information, de l’aide auprès de notre chambre de la prévention ou à venir se mettre le plus tôt possible sous la protection du Tribunal.
Ce discours est celui que je tiens à l’extérieur de la juridiction ainsi que je l’avais évoqué sans que cela ne soit prémonitoire dans mon intervention lors de mon installation et en cohérence avec la mission de prévention « anticipation » que la Chancellerie souhaite voir assurée par les Présidents des Tribunaux de commerce. À ce jour, nos inquiétudes portent essentiellement sur les PME et les Microentreprises, il convient en effet de rappeler que l’année 2019 (Plus faible année depuis 10 ans en nombre de défaillances) avait vu au niveau national 51 165 défaillances d’entreprises en nombre d’unités légales. Seulement 38 concernaient des ETI et des Grandes Entreprises. Les effectifs des GE et des ETI sont identiques à ceux des PME et des TPE de l’ordre de 6 400 000 emplois temps plein. Mais leur défaillance sont bien évidemment moins médiatisés.
Ce sont ces deux catégories, PME et micro-entreprises, qui nécessitent le plus d’attention et de disponibilité à notre niveau, car souvent moins informées et accompagnées que les deux autres catégories. Leur Dirigeant étant en outre très souvent impacté personnellement en cas de défaillance. Le maître-mot reste l’anticipation, permettant d’éviter l’état de cessation des paiements et autorisant selon les situations soit l’ouverture d’une procédure de conciliation soit l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Malgré cette situation encore une fois inédite, les objectifs que nous nous étions fixés en début d’année ont été atteints, nous avons mis en place un collège de déontologie, nous avons formé nos juges dans le cadre formel fixé par l’Ecole Nationale de la Magistrature, auquel nous avons adjoint un certain nombre d’interventions, soit de professionnels, soit d’anciens juges qui sont venus en soutien en matière de formation sur des aspect spécifiques. Nous avons obtenu le renouvellement de notre certification ISO 9001. Notre communication en matière de prévention a été plutôt bien relayée.
Nous avons progressé en matière de motivation de nos décisions considérant qu’Il ne suffit pas qu’une décision soit bien rendue encore faut-il qu’elle soit bien comprise, notre chambre des MARD est unanimement appréciée tout comme celle des référés. Nos juges ne peuvent qu’en retirer une grande fierté dans la réalisation de cet engagement au service de la justice de notre République. Je me joins également aux réquisitions de Madame la Procureure en ce qu’elles ont rendu hommage à Me Sabourin.
Voilà mesdames et messieurs ce que je souhaitais vous dire aujourd’hui ! Nous allons continuer et renforcer nos efforts au service de cette Juridiction pour une justice commerciale de qualité qui contribue également à renforcer l’attractivité de notre territoire. Je n’évoque pas notre budget tant il est indécent mais je remercie ceux ici présents qui ont répondu à mes sollicitations pour que nos juges ne servent pas la justice en lambeaux. Je ne manquerais pas de retourner les voir bientôt.
Dans « les chênes qu’on abat », le Général de Gaulle répond à Malraux que le courage consiste toujours à ne pas tenir compte du danger… soyons donc courageux, mais restons prudents !
Je vous remercie pour votre attention, et vous présente tous mes vœux.